Cette fois cest pour de bon
par Seymour Papert
Titulaire de la chaire sur
lenseignement fondée par Cecil et Ida Green
Professeur de mathématiques
à lInstitut de Technologie du Massachusetts
Témoignage présenté lors dauditions tenues sur le thème
Les Ordinateurs et la société cognitive.
Ces auditions ont été organisées par le sous-comité de la chambre des Représentants des États-Unis, responsable des thèmes : " Planification scientifique internationale, analyse et coopération " (Science and Technology Subcommittee on International, Scientific Planning, Analysis and Cooperation, abrégé en DISPAC), dont le responsable est James H. Scheuer. Ce témoignage a été présenté à une session consacrée aux "Besoins pour la recherche et le développement" le 12 octobre 1977.
Traduction de Claude Riso-Lévi, décembre 1998
Première partie : Vue densemble et recommandations pour une politique
Dans les années 80 des ordinateurs individuels petits mais dune puissance extrême feront partie de notre monde quotidien tout comme aujourdhui la télé, le téléphone, limprimé et le carnet de notes. En fait, les ordinateurs vont intégrer et reprendre les fonctions des objets précités et les remplacer, ainsi que dautres technologies utilisées à la maison pour la communication et le divertissement. Et jinsiste : ceci se produira indépendamment de toute décision de la communauté éducative. La force motrice se cantonne dans lindustrie. Cette présence de lordinateur transformera radicalement notre mode de vie de deux manières : directement en nous donnant les moyens matériels nécessaires à de nouvelles activités et indirectement grâce à son impact sur notre psychologie, qui comprend lamélioration des processus dapprentissage. Cela concernera aussi bien les adultes et les enfants que les bébés, tant à la maison quà lécole et sur les lieux de travail. En fait, il modifiera et peut-être même supprimera les frontières entre les activités que nous menons aujourdhui dans différents endroits (comme se distraire, apprendre ou travailler).
Bien que larrivée des ordinateurs soit inévitable, la façon dont nous les utiliserons ne lest pas. Il est possible de faire des choix qui auront une énorme influence sur les structures sociales, économiques et politiques de ce pays et du monde entier. Il est urgent dagir. Cependant personne nest en mesure davoir une approche holistique du système pour développer une politique. Les chercheurs et les politiques senferment dans des problèmes locaux, limités et non pertinents. Les politiques de financement des agences fédérales perpétuent cette myopie.
Dans cet exposé, je soutiens quil est nécessaire quune action soit menée par le Congrès. Dans le cadre de ces auditions je vais me concentrer sur un seul aspect : leffet quaura lomniprésence prochaine des ordinateurs sur lapprentissage . Cet aspect est évidemment si fondamental que des changements profonds en lui vont transformer dautant le mode de vie des individus et la société. Mais il faut se rappeler que ceci ne constitue quun seul aspect dun tout plus vaste encore et que mon appel énergique à laction serait plus énergique encore si le temps ou le lieu se prêtaient au développement dune vision encore plus complète des multiples façons dont lordinateur modifiera la trame de nos vies personnelles.
Quand nous essayons de prévoir leffet de lordinateur sur lacquisition des connaissances dans les années quatre-vingts, nous ne devons pas le confondre avec la place relativement modeste de lEAO (Enseignement Assisté par Ordinateur), déjà utilisé dans certaines écoles et testé en tant que parties de projets tels que PLATO. Nous prévoyons des choses à une échelle beaucoup plus grande. Chacun aura son propre ordinateur. Chaque enfant aura accès à mille fois la puissance de calcul disponible pour des étudiants dans leurs essais avec PLATO.
La présence de lordinateur affecte le problème de léducation de deux façons :
- ceux qui vivent dans une société de plus en plus imprégnée par lordinateur auront besoin de connaître les ordinateurs. La connaissance de lordinateur va sajouter aux trois bases de lenseignement (lecture, écriture et arithmétique).
- la présence de lordinateur et le savoir-faire de ses utilisateurs changeront profondément la façon dont toute matière, autre que linformatique, est assimilée.
À titre danalogie pour illustrer le concept des ordinateurs qui change la façon dont se fait lapprentissage, voyez le contraste (en caricaturant pour abréger) entre la façon naturelle dont le français est appris par des enfants vivant en France et la façon formelle dont on lenseigne en classe aux États-Unis. En France, les petits enfants apprennent le français oral bien et sans effort en le parlant. Aux États-Unis, dans les salles de classe, on leur fait faire des exercice sur les règles de grammaire, ce qui est pénible et pas très efficace. Mes recherches montrent que lordinateur permet quun savoir mal enseigné aujourdhui par des méthodes formelles peut être bien assimilé de façon naturelle. Les savoirs dont lapprentissage peut être transformé ainsi sont :
- les mathématiques - les ordinateurs sont des êtres qui parlent les mathématiques ; si on les utilise convenablement, ils permettent aux enfants dapprendre les maths comme les tout petits apprennent à parler.
- la langue écrite : tous les enfants apprennent à parler les dialectes parlés de façon naturelle, mais beaucoup ont des difficultés à apprendre les utilisations plus sophistiquées de lécrit. Lordinateur peut fournir un environnement dapprentissage qui permet dapprendre à écrire sa langues de façon sophistiquée avec laisance naturelle qui caractérise lacquisition du langage oral familier.
Ces métaphores suggèrent une image de lapprentissage de la lecture, de lécriture et du calcul dune façon très, très différente de tout ce que nous associons normalement à lidée d"école". Ainsi, la technologie nouvelle conduit à repenser de façon globale, holistique lenseignement ; de voir comment et où il se produit, et où, et quest-ce qui est appris par qui. Pour être utilisée efficacement elle ne doit pas être contrainte par des objectifs locaux tel que lamélioration de lenseignement des mathématiques en sixième. Cependant, les agences fédérales et la communauté éducative dans sa totalité ont lhabitude de penser en termes daméliorations différentielles et locales dun système existant plutôt que dune redéfinition globale et holistique ayant pour but de conduire à un tout ordre de grandeur de la performance densemble. Pour jeter un pont sur ce fossé, il faut de nouvelles politiques de financement, pour démontrer et étudier des environnements dapprentissage complètement redessinés afin de respecter simultanément lintégrité des nouvelles technologies et les buts de lenseignement. Nous avons besoin de bâtir de nouveaux programmes académiques pour former des individus qui mettront en pratique ce que ces études nous auront appris.
Un changement minimum dordre de grandeur de lefficacité éducative de notre société est lobjectif de la suppression en 1985 [soit 8 ans après cette audition NdT] des phénomènes dillettrisme et de "laissés pour compte" de lenseignement. Tous les élèves, excepté ceux qui ont des lésions graves au cerveau, devraient atteindre un niveau defficacité intellectuelle dont sont actuellement crédités les élèves sortant du "college" [américain, soit bac+1 NdT]. Cela inclut des centaines de milliers de "handicapés", voués aujourdhui à des vies disolement et de dépendance.
Le concept même de changements radicaux du but de lenseignement est incompatible avec la politique des instances fédérales de lenseignement
Des propositions de projets pilotes de nature holistique ont été repoussées par les agences qui les financent de avec des commentaires de ce type : " Prouvez dabord que vous savez nager, ensuite nous vous laisserons aller dans leau ". De telles politiques sacrifient la possibilité quont des groupes de recherche bien informés et conscients de leurs responsabilités de mettre au point des méthodes dutilisation des nouveaux ordinateurs avant que ceux-ci ne deviennent largement disponibles. Ce faisant, on peut être certain que les ordinateurs seront utilisés en amateur, suivant les marottes du jour ou sous linfluence de la compagnie de logiciels éducatifs dotée des meilleurs agents de publicité. Il faudra peut-être une décennie pour revenir de cette situation à celle, plus rationnelle, que nous aurions pu avoir dès le début.
Les étapes à suivre
1. Reconnaître que nous sommes dans une situation critique qui exige la mobilisation de ressources importantes.
2. Créer au plus haut niveau un comité consultatif sur le thème : " Effets psychologiques et éducatifs des ordinateurs ". Ce pourrait être une commission présidentielle.
3. Créer au moins deux centres académiques de pointe dont le corps enseignant, les équipes de recherche et les ressources techniques permettront de mener à bonne fin des projets holistiques et de former des professionnels pour travailler dans le domaine situé à lintersection de la science informatique et des sciences humaines. Ils devraient disposer de dotations de lordre de 2 à 3 millions de $US par an, pour une durée de cinq ans, après laquelle ils devraient être financièrement autonomes.
4. Fournir immédiatement 20 millions de $US par an à la N.S.F. (National Science Foundation), ainsi quà la N.I.E. avec la mission explicite de créer des programmes pour la recherche fondamentale et appliquée à une échelle globale afin dexplorer les nouvelles utilisations des ordinateurs tant dans lenseignement que dans les foyers.
5. Fournir immédiatement 20 millions de $US au Service pour la formation des handicapés, avec la mission explicite de créer des projets holistiques pour une prothèse informationnelle.
6. À long terme, ce serait : créer une nouvelle agence qui aurait pour mission la recherche et le développement concernant tous les aspects de linteraction entre la présence des ordinateurs et la qualité de la vie.
Deuxième partie : Élaborations
De nouvelles technologies, des théories psychologiques, de nouveaux programmes, de nouvelles formes dorganisation ou, tout simplement, de nouvelles techniques éducatives ont fréquemment créé des espoirs daméliorations importantes dans lenseignement. Lexpérience a fait de la déception de ces espérances une attente sociale. La communauté enseignante, ainsi que le public dans son ensemble, a acquis une attitude de conservatisme et de scepticisme vis-à-vis de la réforme de lenseignement. Lattitude dominante est : " Revenons à lessentiel " (cest-à-dire au contenu traditionnel) et plusieurs études ont montré que largent dépensé pour " la technologie " est de largent gâché.
Dans la conjoncture actuelle, cette attitude, bien que nous puissions en comprendre lorigine, nest pas pertinente. Car, cette fois, lordinateur nous a mené au bord dune vraie révolution dans la manière dont les gens apprennent, une révolution qui produira des changements aussi considérables que les changements produits par les progrès techniques des cent dernières années en médecine, communication, transport et, hélas, dans lart de la guerre. Il est certain que la révolution informatique va se produire ; elle est menéee par lindustrie plutôt que par la communauté enseignante. Elle prendra place dans les foyers et les lieux de travail, que les écoles lacceptent ou non.
Tout comme ni le scepticisme ni le conservatisme dominants au début du siècle nont pu empêcher le développement de lautomobile et de lavion, de même la diffusion de lordinateur dans la vie de chacun dentre nous aura lieu pendant la prochaine décennie, que les enseignants soient sceptiques ou non. Mais il y a un très grand risque que labsence de politique consciente et appropriée ait pour résultat la banalisation de limpact de lordinateur, qui pourrait être très puissant. Si nous ne faisons pas immédiatement le point, nous pourrions nous trouver en train de tripatouiller dans les façons dutiliser les ordinateurs qui pourraient se trouver à contre-courant de lenseignement. En faisant retentir ces avertissements, je suis conscient des schémas suivis par lappropriation sociale des autres technologies. Par exemple, dans le cas de lautomobile, nous avons dabord laissé se construire des millions de véhicules et, beaucoup plus tard seulement, nous nous sommes préoccupés de la façon de réparer les dégâts causés à latmosphère, aux ressources énergétiques et aux villes.
Bien quil soit manifestement impossible de prévoir tous les cas dans lesquels la nouvelle technologie informatique peut être mal utilisée ou sous-employée, nous disposons actuellement de quelques cas très clairs de ces deux dysfonctionnements. Le gouvernement fédéral est en mesure de fournir une direction et de rendre disponibles les ressources qui pourraient grandement augmenter les bénéfices sociaux de la technologie informatique dans le domaine de lenseignement, au sens le plus large possible. Ce qui est unique avec lordinateur cest que sa diffusion de masse imminente dans les foyers nous offre la possibilité sociale délargir notre acception du mot enseignement. Lordinateur chez soi donnera du sens au discours sur la société cognitive.
Il nous faut tout de suite une action denvergure. Le monde de lenseignement, depuis la base, au niveau de lécole, jusquaux décideurs du Ministère est tout à fait hors de contact avec le rythme et lesprit des technologies sophistiquées qui évoluent rapidement. Dans le cas de la technologie informatique, le fossé entre les enseignants et les technologues constitue actuellement une véritable cause de crise pour une planification rationnelle.
La situation est comparable à ce qui arriverait si la puissance nucléaire avait été inventée à une époque où les dirigeants militaires avaient lhabitude de raisonner en termes de charges de cavalerie. On sort quelquefois largument que, si linadaptation à la dernière technologie en matière darmement peut être la cause dune crise nationale, dans le cas des technologies éducatives on peut se permettre une politique sociale dattentisme. Cet argument est à courte vue. Une politique attentiste, dans lenseignement contemporain, est formidablement coûteuse en termes financiers et humains. Je lillustre au moyen de deux exemples :
Ceux qui supportent le plus le coût dune politique de attentiste sont les individus. Rien quaux États-Unis, chaque année un million denfants sont perdus pour lenseignement, beaucoup de façon irréversible. Ils abandonnent leurs études ou bien sétablissent dans lillettrisme, bien quils possèdent un diplôme. Une utilisation intelligente de lordinateur aurait pu créer une différence importante, voire même cruciale dans leur expérience de lenseignement. De manière plus dramatique encore, lordinateur pourrait libérer une centaine de milliers dhandicapés dune vie disolement, de dépendance et de privation culturelle. La technologie informatique disponible aujourdhui pourrait ouvrir à ces gens la porte du contact avec les autres, du savoir et de lindépendance. Aujourdhui, les ordinateurs ne sont pas utilisés efficacement pour sattaquer à ces problèmes humains. Pour le faire, il faudrait construire un nouveau système, qui prendrait en compte les multiples aspects de la vie de lindividu et fournirait, en respectant une certaine cohérence, de nombreux services de façon coordonnée et intégrée. Cependant, la tradition de la recherche et du développement dans ce domaine, comme dans celui de lenseignement dans son ensemble, est de faire de petites innovations, chacune concernant une fonction donnée. De par leur nature même, aucune de ces innovations ne peut créer une différence significative et les diverses innovations faites par des individus différents ne sont pas compatibles les unes avec les autres. Le coût de lattentisme se traduit par le fait que nous navons aucun plan densemble pour attaquer les problèmes sérieux de manière cohérente et holistique. Des efforts partiels, ineffectifs car composés de pièces et de morceaux, sont inévitables à cause du préjugé favorable où les tiennent les programmes de financement. Il nest pas possible de créer une nouvelle culture informatique de la même manière que lon introduirait une modification mineure dans un programme scolaire.
La disposition des touches sur une machine à écrire est irrationnelle et peu efficace. Elle a été adoptée au tout début, quand taper trop vite bloquait les touches des premières machines à écrire. Elle se maintient aujourdhui parce que les coûts psychologiques, ainsi que les coûts de recyclage de toutes les machines et dune nouvelle formation de tous les dactylos est prohibitif. La disposition des touches de la seconde rangée dans ce système irrationnel est AZERTY et jappelle ce phénomène de la persistance dune technologie anachronique le phénomène AZERTY. Un processus AZERTY est déjà en oeuvre dans la manière dont lenseignement utilise lordinateur. Il a adopté les méthodes dutilisation qui étaient dictées par létat primitif et les coûts élevés des ordinateurs de la décennie précédente.
Il est évident que la diffusion des ordinateurs personnels modernes dans une culture peut avoir pour effet une évolution rapide de la population, de son niveau dinstruction générale ainsi que de son degré de sophistication technologique et scientifique. Si nous nous enlisons sur des modèles anachroniques de lusage des ordinateurs, dautres pays pourront avancer beaucoup plus vite que nous et tirer avantage du potentiel éducatif quoffre lordinateur. En fait, cela se produit déjà. Dautres sociétés sont moins gênées par des scories du type AZERTY. Dans notre situation, nous pouvons réaffirmer notre rôle de guide, mais nous ne pouvons le faire que si nous gardons à lesprit la notion dextrême urgence. Dabord reconnaître quil y a un problème - et ensuite donner une mission pour une recherche, qui explorerait les approches holistiques de ce problème que les études traditionnelles sur lenseignement sont contraintes dignorer.
Mes opinions sur ces sujets sont issues de plus de quinze ans de recherche dans le domaine qui se trouve à lintersection de la science informatique et des sciences humaines. Jai particulièrement travaillé sur létude des manières par lesquelles la présence de lordinateur facilite les processus dapprentissage et accélère le développement intellectuel.
Au MIT nous avons étudié comment des enfants dâge primaire, qui ont appris à programmer des ordinateurs dans notre environnement LOGO, riche en ordinateurs, sont capables dutiliser des concepts originaires de linformatique pour comprendre les façons dont eux-mêmes apprennent, ainsi que leur propre logique. Par exemple, ils peuvent considérer la façon dont ils "déboguent" (mettent au point) un problème comme une méthode de correction localisée qui ne nécessite pas de tout recommencer à zéro et ils peuvent ainsi se rendre compte que la stratégie propre au monde de la programmation permet de résoudre toutes sortes de problèmes, même ceux qui semblent fort éloignés dun terminal dordinateur. Nous avons observé comment des enfants apprennent à utiliser des idées venues du monde de la psychologie, normalement considérées comme beaucoup trop abstraites et sophistiquées pour des individus aussi jeunes. Nous avons étudié comment ces enfants sont capables dacquérir une approche bien articulée du processus dapprentissage en prenant lordinateur comme modèle simplifié de certains aspects de leur propre esprit. Nous avons vu de nombreux cas dans lesquels ce processus conduit à de très grands progrès, non seulement dans les activités de base, mais aussi dans limage quont deux-mêmes des enfants en tant quagents intellectuels, et ces progrès dans limage deux-mêmes conduisent à une amélioration dans létude.
Servir comme modèle de lesprit nest quune des très nombreuses façons dont un ordinateur peut servir à un enfant dintermédiaire entre la croissance du sentiment de sa puissance intellectuelle et sa relation signifiante avec le savoir et la technologie. Car un enfant peut réellement maîtriser lart de la programmation des ordinateurs et lutiliser comme un outil pour réaliser des projets personnels dune complexité de loin supérieure à tout ce quil pourrait faire sans elle. Mais, afin de pouvoir lui faire faire ce quon a soi-même décidé (simuler un voyage spatial vers la lune, faire de la musique ou bien animer ses propres dessins, par exemple), on a besoin de communiquer avec lordinateur dans un langage mathématique.
La plus grande partie de mon travail, ainsi que celui de mes étudiants et collaborateurs a été de construire des environnements riches en ordinateurs dans lesquels les enfants ont une motivation pour communiquer de façon mathématique, souvent pour la première fois de leur vie.
Ainsi, beaucoup denfants qui avaient considéré les mathématiques comme une corvée embêtante et dépourvue de sens se trouvent dans un environnement où le savoir mathématique sert de moyen pour faire quelque chose que quils désirent faire. Ainsi, pour la première fois, la perception qua lenfant des mathématiques a quelque chose de commun avec ce qui leur donne une grande valeur et les rend passionnantes pour les ingénieurs, les scientifiques, les navigateurs, les économistes et les autres utilisateurs.
Jai utilisé la métaphore de la création du pays des maths (cest-à-dire un lieu où les gens parlent en mathématiques) pour transmettre la notion de lénorme différence quil y a entre le fait dapprendre les mathématiques dans notre environnement riche en ordinateurs et dans une salle de classe traditionnelle. La différence est analogue entre celle quil y a entre le fait dapprendre le français en vivant en France et lapprendre à lécole. Quand on apprend le français en France, on lapprend sans effort, sans programme détudes particulier et de façon efficace. Cela est aussi valable quand on apprend les mathématiques comme un langage en conversant avec lui. Lordinateur rend possible de réaliser les concepts du pays des maths. Les ordinateurs sont des êtres qui parlent de façon mathématique. Dans notre environnement LOGO, du moins, les enfants font faire quelque chose à lordinateur en " lui parlant " en un langage de programmation. Ce langage est facile à apprendre et profondément mathématique dans son esprit. Un objectif primordial de mon travail a été dinventer de tels langages informatiques et de trouver des sujets sur lesquels les enfants aimeraient converser avec les ordinateurs.
Il faut faire beaucoup plus de recherches. Mais, même en ne considérant que ce qui a déjà été fait, le travail de notre laboratoire ainsi que celui dAlan Kay à XEROX ont démontré que cette approche donne des résultats.
Cette idée de construire des pays des maths nest pas la seule suggestion quil y ait sur la façon dont les ordinateurs pourraient être utilisés pour améliorer lapprentissage des mathématiques. Bien au contraire, la suggestion la plus courante est dadministrer à lélève des exercices daddition suprêmement traditionnels. En fait, je nai aucune objection à ce quon utilise lordinateur comme enseignant. Mais je veux faire remarquer de façon très nette que, dans ce cas particulier, cela reflète un échec grave quant à la compréhension et lexploitation du potentiel véritable de lordinateur. Des enfants qui apprennent les mathématiques de façon naturelle dans un environnement de pays des maths nont pas besoin que lenseignant ou lordinateur leur fasse faire des exercices ou les leur serine, tout comme des enfants nont pas besoin de faire des exercices pour apprendre à parler leur propre dialecte maternel. Le fait que les enfants ont besoin quon leur fasse faire des exercices de mathématiques traduit le fait que nous nutilisons pas un processus dapprentissage naturel pour les enseigner.
Dans sa forme la plus simple, mon argumentation est que la préparation la meilleure pour lutilisation de lordinateur dans la société cognitive est de sen servir comme dun outil pour créer des environnements pédagogiques dans lesquels des processus dapprentissage naturels pourront suivre leur déroulement. propre. Tout le monde aime apprendre ; la plupart des gens naiment pas subir un enseignement. Lordinateur nous permet de dissocier ce que nous apprenons par nous-mêmes de ce qui nous est enseigné dans certaines zones très sensibles des habiletés de base.
Jai présenté quelques images dutilisations holistiques de lordinateur, qui, je le crois, respectent lintégrité de la technologie et en tirent profit plutôt quils ne la contraignent. Je nai pas fait cela pour présenter des "histoires de réussite". Tout le monde a son lot dhistoires de réussite. Jessaye de faire plus que cela : à savoir, transmettre une image très différente de la façon dont les ordinateurs affectent lapprentissage et comment il peut être vraiment changé. Mes images ont toutes ce thème en commun : elles suggèrent toutes que lordinateur peut être la pierre angulaire dune société cognitive nouvelle, à condition que notre société épouse lopinion que lordinateur nous offre des possibilités radicalement nouvelles pour devenir véritablement une société cognitive. Nous sommes à un tournant parce que les habitudes sociales nous poussent à prendre ce qui pourrait être révolutionnaire et à en faire quelque chose de banal, en essayant de faire entrer les ordinateurs dans des modèles pédagogiques que nous avons créés dans une ère préinformatique.
Quand nous parlons de progrès scientifique, nous parlons de changements de paradigmes - cest de cette matière que sont bâties les révolutions scientifiques. Notre société a besoin dun mandat afin de se mobiliser pour un tel changement de paradigme dans notre façon de considérer les ordinateurs. Sans lui, nos enfants grandiront dans une culture informatique, mais une culture qui naura pas été mobilisée pour une révolution pédagogique.
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